Le Cercle du Vendredi 10 septembre 2004 :

Seul le sage est monté

comme un étalon

Guyard à Vauvert,
chez Mam’zelle & les Moustiques,




OU L’ON DECOUVRE, ébahi, que la sagesse n’est pas qu’une affaire de vieux barbons séniles et lénifiant sur leurs grimoires du haut de leur chaire, mais qu’elle fut, il y a deux mille cinq cent ans, une technique vitale pour que la vie ne soit que pure volupté et qu’elle procure aux hommes les moyens d’une jouissance et d’une félicité à l’égal des dieux.

OU L’ON APPREND qu’Aristippe, le premier transformiste de l’histoire d’Occident, adore les fêtes somptueuses, les vins et les femmes mais qu’il n’en dépend pas, et qu’il se fiche pas mal, finalement de n’en point avoir. L’on découvre avec lui qu’il n’y a pas meilleure vie et vie plus sage que celle qui s’adonne à la sensualité et à l’amour, mais que l’érotisme devient, dans le lit du sage, une gymnastique autant amoureuse que psychique, destinée à affermir sa propre volonté, afin de n’être dépendant d’aucun plaisir, et de pouvoir en toute situation, être le libre orchestrateur d’une symphonie de sensations toujours plus voluptueuses, mais jamais n’en devenir l’esclave.

OU L’ON DECOUVRE, avec la même surprise, et avec Epicure, que la joie et le plaisir sont les seules proies que mérite de poursuivre le sage. On apprend de surcroît qu’elles sont si faciles d’atteinte que la pure joie d’exister n’a pas à être recherchée ailleurs que dans ce monde, lorsque le corps apaisé et l’âme tranquille s’unissent dans un état de sérénité divine. On découvre alors que la sensualité pacifiée est la règle de la sagesse et du bonheur, et que le secret de la vie, c’est d’être, en toute situation, cool.

OU L’ON COMPREND enfin qu’il faut en finir avec les martyrologies religieuses qui font du corps un holocauste ou les idolâtries cybertechniques qui font de la chair sensuelle une grande absente. On voit mieux aussi combien sont pernicieuses les industries du plaisir, avec leur tyrannie du désir enragé et leur esclavage obligatoire à une consommation artificielle et vaine. On comprend enfin pourquoi rien n’est plus criminel que l’idéologie du corps performance car elle conduit à la démesure et à la perte de la maîtrise de soi.

OU L’ON VOIT qu’ainsi donc, non seulement la sagesse veut nous réconcilier avec le corps, mais qu’elle veut porter la chair jusqu’à la sensibilité puis la rendre intelligente, lumineuse, capable d’acte de grâce en faisant l’économie d’un Dieu ou du sentiment du péché. Ainsi le sage n’est-il pas autre chose qu’un homme, qui, dans le commerce avec sa chair palpitante, a su domestiquer le désir et le plaisir, et ne se rapporte aux plaisirs et à l’amour ni comme un moine contrit et maladif ni comme un porc ou un chien. L’ACTE D’AMOUR, LE COMMERCE DE LA CHAIR, DEVIENT, PAR LA PHILOSOPHIE, UNE LEÇON DE SENSUALITE AUTANT QUE LE PREMIER REVELATEUR DE LA RECONCILIATION AVEC LE MONDE, AVEC AUTRUI ET AVEC SOI.

Bibliographie

BRUN Jean, Les Epicuriens, PUF, 1971

DIOGENE LAËRCE, Vie et doctrines des philosophes illustres

DROIT Roger-Pol et DE TONNAC Jean-Philippe, Fous comme des sages. Scènes grecques et romaines, Seuil, 2002.

EPICURE, Lettres et Maximes, Trad. Marcel Conche, PUF, 2002

HADOT Pierre, La Philosophie comme manière de vivre, entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold I. Davidson, Albin Michel, 2001

HADOT Pierre, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Folio, Essais, Gallimard 1995.

LUCRECE, De La Nature. ONFRAY Michel, L’Invention du plaisir. Fragments cyrénaïques, Paris, Livre de poche, 2002.